Bien qu’elle se soit toujours, par modestie, retranchée derrière son œuvre à laquelle elle n’a pas cherché à attacher son nom, Anne Gruner Schlumberger (1905-1993) a été une visionnaire dans les domaines de l’art, de l’architecture, du paysage, de l’éducation, de la science et de l’aide à la création sous toutes ses formes. Remarquable tant par sa créativité propre que par l’ampleur et la diversité de son action, la fondatrice des Treilles est à l’origine d’un lieu de confluence et d’échanges entre toutes les activités qui la passionnaient.
Une famille talentueuse
Anne Gruner Schlumberger appartient à une famille talentueuse dont elle retracera l’aventure dans son livre La boîte magique. Petite-fille de l’industriel alsacien Paul Schlumberger (1846-1926), fille de Conrad Schlumberger (1870-1936), créateur avec son frère Marcel (1884-1953) de la Société de Prospection Electrique, devenue l’entreprise multinationale Schlumberger LTD, elle est élevée dans une famille dont le goût pour les sciences s’accompagne d’autres talents : son père Conrad est musicien, son oncle Jean, dont elle était proche et dont elle a conservé les archives à la Fondation des Treilles, est un écrivain renommé. Ses sœurs Dominique de Ménil (1908-1997) et Sylvie Boissonnas (1912-1999) feront, comme elle, œuvre de mécénat.
Ce soutien à la culture et au savoir revêt des formes multiples : création de bibliothèques pour enfants en Grèce et en France, de la Fondation Schlumberger pour l’Education et la Recherche, d’une Académie Musicale à Villecroze dans le Var.
Une richesse intellectuelle
et humaine
Dans cette diversité, la Fondation des Treilles est certainement la réalisation majeure d’Anne Gruner Schlumberger, fruit exemplaire de sa richesse intellectuelle et humaine. En 1960, elle acquiert le noyau du domaine des Treilles auprès d’une de ses tantes et entreprend, des années durant, de façonner ce paysage provençal avec la collaboration de l’architecte Pierre Barbe et du paysagiste Henri Fisch.
« J’inscris la Fondation comme un descendant des trois premiers créateurs de Schlumberger, dont l’éthique était de faire confiance à des jeunes, d’être le creuset d’idées nouvelles et de collaborer à des projets dans le monde entier. » Par cette phrase, prononcée le 7 septembre 1986, lors de l’inauguration du « Jardin des Sondes » en présence du Président de la République François Mitterrand, Anne Gruner Schlumberger souligne la filiation de cet espace destiné à « offrir un lieu de rencontres où créateurs et chercheurs se retrouvent » avec l’œuvre des générations précédentes de sa famille.
Parallèlement à la construction du domaine, Anne Gruner Schlumberger rassemble un nombre important d’œuvres d’art dont elle a légué une partie, 800 pièces environ, à la Fondation des Treilles. Y figurent Dubuffet, Giacometti, Picasso, Max Ernst ou Victor Brauner qu’elle a personnellement connus et avec lesquels ont existé des liens d’amitié dont témoigne sa correspondance, ainsi que des œuvres d’artistes plus récents.
Son goût pour l’art ne s’est pas arrêté à la peinture mais s’est étendu à la gravure, particulièrement à celle de son grand ami Roger Vieillard, auquel on peut associer son épouse le peintre Anita de Caro, à la sculpture et spécifiquement aux œuvres de François-Xavier Lalanne et de Laurens. La musique a également tenu une grande place dans sa vie au travers notamment de fortes amitiés, dont celles du claveciniste Ralph Kirkpatrick ou du violoniste Alexandre Schneider.
C’est une des grandes originalités de ce mécène d’avoir réuni à un point rarement atteint autant de passion pour la créativité artistique sous toutes ses formes ainsi qu’une curiosité intellectuelle intense et de les avoir fait vibrer ensemble dans ce qu’elle appelait elle-même « une foi d’amour ».
Maryvonne de Saint Pulgent
Président de la Fondation des Treilles